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Langue Bretonne parlée à Piriac au XVII Siècle

 

A Monsieur le directeur de la revue des provinces de l'Ouest.

Monsieur,

En parcourant dernièrement les numéraux de l'année 1856 de la revue des provinces de l'Ouest, qui m'avaient été prétés, dans la première partie du remarqueble travail intitulé : Des Namnètes aux époques celtiques et romaine, par M. Bizeul (de Blain), j'ai trouvé, à la page 670, l'alinéa suivant :

"En suivant les explications topographiques que je viens de donner, on voit aisément que la langue bretonne a successivement cédé le terrain, en reculant de l'Est à l'Ouest; qu'elle s'est maintenue longtemps dans les environs de Guérande, et qu'on pourrait peut-être, à l'aide du cartulaire de Redon, prouver qu'elle s'yy parlait encore au Xeme et au XI eme siècle, alors que cette ville portait le nom tout breton de Wen-rann. Enfin, que cette preuve serait encore plus facile à fournir quant à l'île de Batz, puisque le breton y est encore en usage dans six des villages de cette paroisse, et qu'on pourrait, suivant toute probabilité, réunir des documents qui nus apprendraient qu'à une époque peu éloignée, l'île entière parlait breton."

Je suis heureux d'apprendre aux lecteurs de votre Revue que ce fait peut interesser, et à l'honorable M. Bizeul en particulier, que je possède un document d'une autorité et d'une authenticité incontestables, qui prouve que la langue bretonne était parlée aux environs de Guérande, en dehors de l'île de Batz, non-seulement au XI eme siècle, mais encore à une époque beaucoup plus rapprochées de nous, au XVII eme siècle.

Cette assertion pourra paraître à quelques uns singulière : aussi je me hâte de déclarer que je ne m'arrêterai à aucune digression pour appuyer ou la combattre; je me contenterai seulement de citer textuellement la pièce, curieuse et par le fond et par la forme, que j'ai entre les mains.

Cette pièce fait partie d'un mémoire, sans nom d'imprimeur, intitulé : "Réponses à six gros mémoires fournis par le Recteur de Piriac, dans une très-petite-affaire qu'il a au sujet de ses dixmes, contre le chapitre de Guérande. Ce mémoire, petit in f° n'est pas, complet, et la marge supérieure des feuillets où devait se trouver la pagination a été rongée par les rats. Il serai facile de suppléer les mots qui par suite de cet accident, manquent au texte; mais je préfère les laisser en blanc.

La publication d'un Monitoire lancé à la requête des chanoines de Guérande, le dimanche 22 octobre 1634, à Piriac, avait été troublé. Le syndic du chapitre fit à cette occasion, le 25 novembre de la même année, une remontrance, et requit la descente d'un juge pour empêcher de nouveaux désordres probables à la publicaion du Réaggrave, ou dernier monitoire précédant immédiatement l'excommunication. En conséquence, le lieutenant de Guérande se rendit donc, le lendemain 26, à Piriac, et voici ce qui arriva :

"Extrait du procez verbal, fait par Georges Martin, lieutenant de Guerrande, à requête de vénérable et discret Messire Pierre L'Allemant, prêtre et syndic du chapitre de Guérande, assisté de maitre Pierre Le Febvre leut procureur ect..
 
...La Messe de paroisse continuée jusqu'à la Préface, par un prêtre de la paroisse de Piriac, le recteur s'est présenté au-devant du grand-autel pour faire son prône, et dans ce momentle dit L'Allemant ayant fait signe au sieur Gergault prêtre, de s'approcher du dit grand-autel, aussitôt qu'il fut aperçû des paroissiens du dit Piriac, qui étoient en grand nombre en la dite église, de l'une et l'autre face, ils ont commencé à faire un grand bruit et murmure, disant qu'il eût à sortir dehors, ou qu'ils le traîneroient dans la mer, et même l'un des d.....peler Jean Davy cordonnier dudit bourg, a prompte......potteau au clocher de la dite église, et a sonné par de....allarmes, auquel son de cloche se sont rendus en la dite .......e de peuples fort émus, criant, hurlant, et faisant un t.....ns parlans bretons, et certain language à nous inconnu, et .... fûts de la Bannière, commes s'ils eussent eût l'intention d'en off... personnes; de tous qui étoient bien étonnés, l'appelé Jean Annez... sergent de la juridiction de Campzillon, qui étoit tout proche de nous, nous a dit tout bas, et comme en secret, q'uil nous conseillait de nour retirer promptement, et qu'il ne faisoit pas bon pour nous, et pour ceux de notre compagnie audit lieu; ce qu'entendans, nous avons jugé qu'il y avoit partir fait à un dessein prémédité de nous offenser, et néanmoins espérans qu'ils nous eussent porté quelques respect, et au lieu saint où ils étoient, avons hautement priez, ezt requis les dits paroissiens de se contenir, et cesser leur bruit, leur faisant commandement de part le Roy, et de sa justice de se tenir en leur place, sans faire plus grande émotion, leur déclarans que nous étions venus exprès au dit lieu pour empêcher le désordre, et qui nous étions tous prêts de les ouïr en lerus raisons, commandant à cette fin à notre adjoint de prendre du papier et de l'encre pour écrire, à quoi ils n'ont aucunement porté état, ni aux prières et remontrances que leur a voulu faaire leur dit recteur, qui a fait contenance d'être fâché d'une telle émotion, au contraire recommencèrent plus fortement que devant leurs clameurs, sans attendre que le dit Gergault eût prononcé aucune parole, ils se sont émus de furie sur lui, et sur tous nous, prosternans le dit sieur de S. Vincnet par terre, en lui donnant plusieurs coups de poings et de pieds, insultans le dit Le Febvre son procureur, les poussans, et les jettans hors de la ditte église par la porte vers le midi, en continuant leur violence en notre endroit, et de notre adjoint, et du dit Gergault; ils nous ont tous poussez, frappez, et maltraitez de coups de poing et de pied, que malgré l'empêchement que le dit recteur et ses prêtres, et le dit Anezo, Me Yves Haspot, Denys Frogier, Guy Hemery, Pierre Frogier, la dame de Kerbilli, et une sienne seur, et quelques autres ont semblé faire pour apaiser, et empêcher la sédition, ils nous ont rangez, et acculez dans un coin de la ditte chapelle, à côté de la nef de la dite église, vers le nord, jettant et bouleversant par terre ceux qui s'opposaient à leurs efforts, arrachant même les cheveux de notre adjoint, et nous voïant ainsi acculez, nous serions avisés de remonter de rechef à ceux qui nous persécutoient de la sorte, qu'ils eussent à cesser leur émotion et fureur, et obéir aux commandemens de leurs supérieurs de l'église et de la justice, autrement qu'il leur en prendoit mal, ce qu'entendns, ils ont recommencé comme de plus belle, le tumulte, efforts et violences sur nous, et le dit Gergault et adjoint, disans hautement qu'il nous falloit tuer et jetter en la mer, et voïant qu'ils s'apprêoient pour exécuter leur mauvais dessein, nous poursuivans à force de coups, comme auparabvant, et sur l'avis qui nous a été donné, que quelqu'un des paroissiens avoint déjà tiré des couteaux, et chargez leurs pochettes de pierre pour nous tuer, nous avons avec peine trouvé le moyen de nous évader de la presse, et sortir hors de la ditte église, par une petite porte vers le nord qui répond sur le cimetière, et avons été suivis par un grand nombre d'hommes, et de femmes qui courroient après nous, et nous ruoient des pierres et cailloux, jusqu'au pignon ou la porte de la ditte église qui étoit fermée, où étant, et voïant que plusieurs autres personnes avoient sorti de la ditte église par la dite porte vers le midi, pour nous couper le chemin, étans pareillement saisis de pierres et cailloux qu'ils ruoient aussi contre nous, nous avons été contraints, pour sauver notre vie, et de crainte d'estre envelopez et assommez par la mu...nous assaioient de tous côtez, de mettre l'épé à la .... icelle, ayant quelque peu ouvert la presse, sans toute foi...mes, nous sauver de vitesses dans un logis, à l'opposé... la dite église, où nous nous sommes jettez à corps perdus,...notre adjoint, lequel, à l'entrée est tombé par terre, tant... ps de pierre, que de la hâte qu'il avoit d'entrer pour sauver sa v... porte ayant été à l'instant fermée par Guy Hemery trouvé au dit logis;... ts poursuivans ont fait tous leurs efforts d'enfoncer la dite porte à coups de pierre, menaçans au-dehors-que, s'ils pouvoient nous attraper, ils nous turoient; et peu de temps après, M Jean le Penher et sa femme, propriétaires du dit logis, avec les dits M Denis Frogier, Michel Chambilly et le dit recteur de Piriac, sont venus nous trouver au dit logis, et nous ont dit que nous avions été en très grand hasard fe notre vie, et que si nous eussions été attrapez étans proches de la dite église, ils nous eussent, sans difficulté, tuez et jettez dans la mer, mais désormais qu'il n'y avoit rien à craindre, et que la messe ayant été parachevée à basse voix, la plus grande partie du peuple s'étoit retirée ce qu'entendans, et sur la promesse nous faite par les dits lePenher, Frogier et Chambilly, qu'il ne nous seroit dorenavent fait aucun mal, nous nous serions, en leur compagnie, retirez chez le dit pierre Pontiaud, où nous avons trouvé le dit sieur S. Vincent qui y étoit étendu et se douloit fort des coups de pied et de poing qu'il avoit reçus en un côté, à cause desquels il avoit pensé à expirer; comme aussi le dit Gergault, Le Febre et adjoins se plaignoient des coups de pieds qu'ils avoient reçus en leurs personnes, tant de pieds que de points et de pierres, par les dits poursuivant, et nous-mêmes nous sommes trouvez fort lassez, foulez et harassez, à cause des excès, efforts et violences commis en notre personne.
Et ayant pris notre repas en la maison du dit Goubaut, et appris de quelques personnes y étant, qui avoient été présentes lorsqu'on poursuivoit les dites violences, que ceux qui avoient prepièrement émû la sédition en la dite église, étoient les dits Jean Davy qui étoit monté au clocher pour sonner le toquesin, Michel le Fournier, Allain et Jacques les Fourniers ses enfants et leur mère, Guillaume Nouivoit, Alain Couronné, l'appelé Barnabé Nicol, Nicolas le Roy, Georges Baugé, et Pierre Nicol, et que la grande femme, maigre en visage, cuverte d'une mante noire, qui nous avoit toute la première mis la main au collet en la dite église, s'appeloit Cathreine Morvan, et étoit suivie et assistée des appelées Claudine Roudie, femme de Julien Allaire, denise Davy, femme de Pierre Casdrie, jeanne Jégo, femme d'Alain Marion, et plusieurs autres femmes lesquelles disoient en leur breton, qu'il nous falloit tuer et jetter à la marée; nous avons remonté à cheval, et nous sommes tous de compagnie retirez en nos demeurances en la ville de Guerrande, où sommes arrivez sur les quatres heures de l'après-midi.
 
Et de tout ce que devant avons fait et réfigé le présent procez verbal, sous notre signe, celui de notre adjoint et ceux des Sieur de S. Vincent, Gergault et le Febvre, pour valoir et servir ainsi que de raison, les dits jour et an que devant."

On le voit par cette pièce originale, les gens de Piriac, outre leur breton, étaient à cette époque de rudes et peu commodes paroissiens à l'endroit des monitoires. Cependant, suivant cette partie de la discipline de l'Eglise (Conc. Trid., sess.25, de Reform., cap. 3), qui a, il est vrai, cessé d'être en vigueur, mais qui n'est nullement obrogée puisque de nos jours encore, le 1à septembre 1806, on trouve une décision autorisant la publication des monitoires, lorsqu'il y avait de grands motifs d'y recourir. (cours alphabétique et méthodique de droit canon, par M. l'abbé André tom IV, Monitoires); suivant cette discipline, dis-je, les chanoines de Guérande usaient en cette circonstance d'une pratique légitime, et les habitants de Piriac eurent tort de les troubler dans l'exercice de cette forme canonique. La position de ces chanoines était critique. Attaqués par le recteur de Piriac qui leur contestait la dîme qu'ils percevaient dans sa paroisse en leur faveur la preuve testimoniale : de là le monitoire qui obligeait les fidèles, sous peine d'excommunication, à réveler ce qu'ils savaient sur certains faits désignés à leurs attention. Or, la publication du monitoire ayant été malicieusement empêchée, le dimanche 22 octobre, les chanoines obtinrent un Réaggrave qui amena, le 26 novembre, le déplorable résultat constaté par le procès-verbal du pauvre lieutenant de Guérande.

Le tumulte qui eut lieu à l'occasion de la publication du monitoire et du réaggrave, me paraît dû à une double cause - La première à l'esprit de Calvin, qui, en 1601, sans parler de M. de Tournemine, seigneur du pays, avait de nombreux adeptes en Piriac (1). Tout porte même à croire que cet esprit s'y maintient longtemps après cette date, et qu'il était loin d'être completement étouffé en 1634. Ce qui me confirme dans cette opinion, c'est que le ministre protestant de la Roche Bernard faisait encore en 1609, dans les paroisses circonvoisines et sans doute à Piriac, une active et ardente propagande, ainsi que le prouve un petit livre, probablement fort rare, de Jean Seguin, docteur en Théologie, chanoine prévost et official de Guérande, contre le ministre protestant de la Roche Bernard t du Croisic; imprimé à Nantes, sans pagination. Ce curieux ouvrage fait partie de la collection de M. le BAron de Girardot. On peut donc, sans les calomnier, raisonnablement supposer que les calvinistes de Piriac ne furent pas complètement étrangers à l'émotion et révolte, qui s'élevèrent dans cette paroisse contre les chanoines de Guérande au sujet de leur monitoire.

Je trouve la seconde cause de ce tumulte dans un contre-procès verbal dressé à la diligence de la partie adverse, le 13 avril 1635, et dont, par convenance, je ne citerai que ce qui m'est absolument nécessaire. C'est tout bonnement une superstition. Je copie :

" ....et ayant commencé à publier une aggravation du monitoire, il y eut nombre de gens et de païsans qui crièrent forcénement qu'on empêcheroit cette aggravation de monitoire que le chapitre de Guerrande vouloit faire, à cause, disoient-ils, que cela occasionneroit famine par sept ans en la dite paroisse, et qu'ils avoient assez déjà des famines précédentes..."

Je demande pardon de cette longue et ennuyeuse échapée en dehors du but principal de cette lettre; mais j'avais à coeur d'expliquer, avant de conclure, les motifs que faisainet agir les chanoines de Guérande, afin de ne donner lieu à aucune fâcheuse appréciation de leur conduite, et je tenais en outre à excuser, autant qu'il est possible de faire les violences des habitants les plus dociles du monde, pourvu qu'on ne touche ni à leur religion, ni à leur procession, ni à leurs prêtres?

J'ai l'honneur d'être, avec un profond respect,

Monsieur

votre bien humble serviteur

ch. Loyer

Ancien curé de Laghouat

12 juin 1858

(1) en 1553, l'église de Piriac était occupée par les calvinistes, qui y avaient un ministre; et François Baron, qui était en 1562 pasteur au Croisic, était né à Piriac (Ogée dictionnaire de Bretagne)

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