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Source : Internet http://gallica.bnf.fr/scripts/ConsultationTout.exe?O=N073289&T=0
Auteur : Gérando, Marie-Anne
Titre : Lettres de la baronne de Gérando
née de Rathsamhausen, suivies de Fragments d'un journal
écrit par elle de 1800 à 1804.
Publication : Numérisation BnF de l'édition
de Paris : Didier, 1880
Description : XVI-435 p.
SOMMAIRE :
(Quelques renseignements sur le frère d'Annette, ses activités durant cette période troublée; demande de versement des pensions dûes à son père qui n'a pas émigré.)
- (La lettre en elle même n'apporte pas de nouveaux renseignements seul le renvoi (1) expose un phénomène météorologique désastreux.)
- (Cette lettre expose quelques faits : problèmes de succession suite au décès de Léopold Eberhard de Rathsamhausen; réinstalation dans la maison familiale avec sa soeur Frédérique...)
- (Dans cette lettre, Annette parle du mariage de mon aieulle, sa soeur, qui a eu lieu le 3 février 1798)
Les lettres que nous publions se recommandent non
seulement par un intérêt anecdotique, des portraits de
diverses célébrités de l'époque où elles ont été
écrites, des appréciations littéraires, mais aussi par
toutes les qualités de coeur et d'esprit d'une femme que
Mme de Staël mettait au premier rang pour son mérite épistolaire,
et à laquelle Mme Récamier aurait voulu ressembler (disait-elle
dans une lettre citée plus bas).
Quelle était cette femme qui a eu aussi pour amis
intimes Camille Jordan et le Prince primat Charles de
Dalberg, M. de Champagny duc de Cadore et Lémontey, le général
Lamarque et le duc Mathieu de Montmorency ? Comment des
lettres d'elle et quelques fragments d'un journal qu'elle
avait écrit au commencement du siècle actuel, sont-ils
livrés à une publicité qu'elle n'avait jamais recherchée
? Nous allons le dire, en donnant d'abord sur elle et sa
famille quelques détails biographiques.
Il y avait en Alsace, au siècle
dernier, une ancienne famille de Rathsamhausen, divisée
en deux branches principales dont l'une, qui avait été
fondée au commencement du seizième siècle, était dénommée
Ehenweyer, et l'autre Nonnenweyer;
elles avaient pour souche Rodolphe 1er, chevalier (miles)
de Rathsamhausen, lequel vivait encore en 1215, d'après
une chronique alsacienne (1).
Ses ancêtres, d'après une tradition de famille, avaient
porté d'abord un autre nom qui aurait été converti en
celui de Rathsamhausen par un empereur d'Allemagne dont
Rodolphe était le compagnon d'armes. L'empereur, pendant
une guerre, se trouvant en Alsace et dans une forte
position protégée par les Vosges, était sur le point
d'en sortir pour livrer une bataille, lorsque Rodolphe
l'en disuada en lui disant : Rathsam su hauzen,
ce qui signifiait : un bon conseil à vous donner, c'est
de rester ici. Grâce à ce conseil qui fut suivi, l'armée
impériale attendit l'ennemi dans cette position et
remporta le lendemain une victoire. l'Empereur aurait dit
alors à son homme d'armes : Puisque tu m'as bien
conseillé, tu t'appelleras désormais Rathsamhausen,
et je te donne pour domaine le territoire où nous sommes
(qui comprenait les localités appelées depuis Müttersholz
et Rathsamhausen).
M. Ernest Lehr, dans l'ouvrage que nous venons de citer,
raconte aussi qu'en 1393 l'empereur Wenceslas IV investit
de la propriété du village d'Otrott et du château de Lützelbourg
Hartmann, Egénolphe et Jean de Rathsamhausen, qui étaient
les fils de Jean Georges de Rathsamhausen, auteur de la
ligne d'Ehenweyer. C'est à côté du château de Lüzelbourg
que fut construit, par un des trois frères, celui qui
portait spécialement le nom de Rathsamhausen, et les
ruines de ces deux châteaux situés, près d'Otrott, sur
une déclivité des Vosges, sont aujourd'hui connues sous
la dénomination commune de châteaux de Rathsamhausen (2).
C'est à la première des deux branches des Rathsamhausen
qu'appartenait Léopold Eberhard, seigneur d'Ehenweyer,
de Müttersholz et de Grüsenheim qui faisaieent partie
du neuvième district de la noblesse immédiate de la Basse-Alsace (3). Né en
1728, il mourut en 1795. Il avait épousé en premières
noces Mlle de Nardin, et en secondes, Frédérique
Suzanne Françoise de Malzen, née en 1742, décédée en 1789 (4).
De ce seconde mariage était issue Marie-Anne de
Rathsamhausen, née à Grüsenheim (Haut-Rhin) le 23 juin
1774, mariée à Riquewihr (même département) le 31 décembre
1798, à Joseph-Marie
de Gerando (5),
et décédée à Thiais (Seine) le 16 juillet 1824.
M. de Gerando, Lyonnais, avait été obligé après le siège
et la prise de sa ville natale par l'armée républicaine,
de se réfugier d'abord en Suisse et en Italie, puis en
Allemagne (avec son compatriote et ami Camille Jardan).
C'est de là qu'étant venu en Alsace il fit à Colmar,
en 1795, la connaissance de Mlle Anne de Rathsamhausen
qui enait de perdre son père et qu'il épousa trois ans
plus tard, après avoir pu se faire admettre comme
volontaire dans un régiment de chasseurs à cheval, en
garnison à Colmar.
Une tante maternelle de Mlle de Rathsamhausen, Caroline
Charlotte de Malzen, chanoinesse de Remiremont, avait épousé
en 1778 Charles Léopold, prince de Wurtemberg et comte
de Montbéliard (6). Ils
habitaient une partie de l'année le château de
Sierentz, près de Colmar, où Anne de Rathsamhausen et
sa soeur furent, après la mort de leur mère, appelées
et reçues, pendant plusieurs mois, par leur tante dont
il est fait mention dans des lettres qui font partie de
ce recueil. Elles se trouvaient alliées à la famille
princière de Wurtemberg et à d'autres princes allemands (7).
Une autre tante maternelle d'Anne de Rathsamhausen,
Catherine de Malzen, était chanoinesse du chapitre noble
de Bussières et dame d'honneur de la comtesse d'Albany,
veuve du dernier descendant des Stuart et qui épousa
secrètement le comte Alfieri. La chanoinesse de Malzen
avait hérité de sa mère le château de Martinsbourg,
situé en Alsace près du village de Wettelsheim, et le
mit à la disposition de la comtesse d'Albany, lorsque
celle-ci quitta Florence avec Alfieri avant la mort du prétendant.
Suivant un usage alsacien, Mlle Anne de Rathsamhausen était
connue sous le diminutif Annette, et c'est ainsi qu'elle
signait ses lettres. Vivant presque toujours à la
campagne avant son mariage, ayant perdu sa mère dès l'âge
de quatorze ans et s'étant alors toute dévouée à
soigner son père dont la vieillesse fut affligée par
les persécutions révolutionnaires et la perte de
presque tous ses biens, elle forma elle-même son
instruction par la culture et l'heureux développement de
ses facultés (8).
....../.....
(1) Sa veuve épousa en secondes noces
Eberhard d'Andlau. M. Ernest Lehr, dans son ouvrage
intitulé l'Alsace noble, fait mention d'André, sire de
Rathsamhausen, comme ayant pris part, en 1209, au tournoi
de Worms; c'était sans doute le père ou un frère de
Rodolphe.
(2) Elles appartiennent
maintenant à M. Scheidecker, Strasbourgeois.
(3) Géographie
universelle de Busching, traduite et publiée à
Strasbourg en 1770, t. V.
(4) Son
père, le baron de Malzen, était capitaine des
grenadiers au régiment d'Alsace chevalier de Saint-Louis;
sa mère était une baronne de Valcourt.
(5) C'est lui qui est devenu membre de
l'Institut de France et des principales académies de
l'Europe, professeur de droit public et administratifs à
la Faculté de Paris, président de section au conseil
d'Etat et pair de France.
(6) L'ancien
comté de Montbéliard était échu, en 1419, à la
maison princière de Wurtemberg, par le mariage
d'Eberhard V avc la fille du dernier comte de Montbéliar,
et fut érigé en principauté en 1654. Le prince Eugène
de Wurtemberg la céda en 1758 à son frère, dont le
fils fut l'oncle par alliance de Mlle de Rathsamhausen.
(7) Voyer
une lettre adressée de Paris, au mois de février
1808, par Mme de Gerando au Prince primat Charles de
Dalberg.
(8) Voyez une
lettre écrite à Joseph (M. de Gerando) au mois
d'octobre 1797.
Au nom de Léopold Eberhard Rathsamhausen
Aux Citoyens administrateurs du Directoire du District de Benfeld, séant à Schlestadt
Grüsenheim, 12 germinal an II (5 avril 1794) de
la République française,
une, indivisible et démocratique
Citoyens,
Grüsenheim, le 9 vendémiaire an IV (30 septembre 1795)
.../...
Etonnée du prix que vous attachez à une conduite
bien naturelle dans une circonstance toute particulière,
je n'ai pu y voir qu'un effet de vos sentiments généreux,
qui vous ont fait prendre intérêt à un évènement qui
aurait pu faire bien des malheureux (1). Satisfaite d'obtenir
l'estime du petit nombre de personnes dont je suis
connue, je le suis particulièrement de l'approbation de
ceux qui se distinguent, comme vous, par des qualités
faites pour contribuer au bonheur de leurs concitoyens.
.../...
(1) Cet évènement et la part qu'y avait prise Mlle Anne de Rathsamhausen sont expliqués dans une lettre de M. Pfeffel, qui a été insérée dans des Souvenirs biographiques sur Pfeffel, publiés à Lausanne, en 1866, par Mme Beck-Bernard, son arrière-petite fille. Cette lettre était adressée à M. Sarasin, et datée de Colmar, le 24 août 1795 : "Dimanche dernier, la foudre est tombée sur la demeure de ma chère Annette de Rathsamhausen et sur la grange de la fermière qui est veuve et mère de huit orphelins. La foudre a presque tout détruit; une partie même de la maison d'habitation est fortement endommagée. Annette se montra digne d'elle-même dans cette circonstance; elle se jeta dans les flammes pour sauver le plus jeune enfant de la pauvre veuve. Les vêtements de ma noble amie ont pris feu sur elle; elle a une brûlure à la jambe, qui, heureusement n'est pas dangereuse, et sa lettre à ma fille frédérique en parle sans dire seulement de quelle circonstance provient cette blessure. Nous ne l'avons appris que par le messager qui a apporté sa lettre."
A UN PRINCE DE WURTEMBERG (1.) 1796
Monseigneur,
Je suis touchée, autant que je dois l'être, des
assurances que daigne me donner Votre Altesse de la
continuation de ses bontées. Mme R*** m'avait déjà
transmis l'honorable souvenir dont vous l'aviez chargée
pour moi, et je me serais empréssée de vous exprimer ma
reconnaissance si les évènements ne m'eussent fait une
loi du silence. La lettre que M. G*** vient de me
remettre met le comble à votre bienveillance; elle ne me
permet plus de consulter la prudence pour y répondre :
je me rends au voeu de mon coeur.
Depuis que j'ai eu l'honneur de vous voir, Monseigneur,
mon existence a été souvent troublée par les orages
politiques, et la mort de mon père a paru détruire à
jamais tout mon bonheur. Le temps et des principes
religieux ont remis l'équilibre dans ma destinée : elle
est telle aujourd'hui, que j'y trouve plus de véritables
biens que de maux.
La famille de M. de Berckheim, de Schoppenwihr, a été
mon refuge depuis que la perte de la mienne m'avait isolée.
Les amies de ma jeunesse sont devenues la consolation de
mon infortune et les modèles que je me suis proposés.
Leur père et leur mère, par leurs bienfaits, ont répandu
sur mes jours toutes les douceurs de la vie; j'ai puisé
dans leur sein la sérénité et le contentement de l'âme
dans des circonstances bien désastreuses. Je viens de me
réunir à ma soeur; nous allons nous fixer de nouveau
dans l'habitation de nos parents.
Il me serait impossible, Monseigneur, de vous rendre un
compte exact des ressources qui nous restent. Les dettes
laissées par mon père ne sont pas acquittées, à
beaucoup près. Le partage des biens indivis qu'il possédait
en commun avec les autres branches de sa famille n'a pu
avoir lieu, faute de titres qui ont été emportés par
nos parents émigrés. Les gens d'affaires s'accordent
sur un seul point, c'est qu'il nous restera peu ou rien
après l'entière liquidation.
Vous voudrez bien me pardonner, Monseigneur, de rendre à
mon cousin la somme qu'il a été chargé de me remettre
de votre part. La loyauté me défend de l'accepter,
puisque je ne puis remplir les conditions mises à ce
don; mais pour prouver à Votre Altesse que je ne redoute
point le poids des bienfaits, j'ose la prier de reporter
sur mon frère les bontés dont elle voulait me combler;
j'en conserverai une éternelle gratitude.
Il n'est pas probable que je me marie jamais; ma position
y met trop d'obstacles, et je ne me contenterais pas de
recevoir ou de répandre un bonheur médiocre dans une
situation que j'aurais librement choisie. Je ne me
permettrais pas, Monsiegneur, de vous parler de moi avec
tant de détails, si les questions bienveillantes dont
votre lettre est remplies ne m'en avaient fait un devoir.
Quand la paix aura fait disparaître les entraves qui
nous séparent, j'espère, Monseigneur, visiter des contrées
om j'ai passé de trop beaux jours pour les effacer de
mon souvenir; mais je ne dois pas vous cacher que je ne
pourrai, pas plus qu'autrefois, y fixer mon sort en
acceptant les offres de Votre Eminence. Ce n'est point
par dédain des grandeurs et de l'opulence, c'est une
justice que je me rends. J'ai été élevée dans la
retraite, j'y ai contracté des goûts simples et
constants; mon esprit s'est formé à la médiations, à
l'indépendance, à une sorte de philosophie (si je puis
honorer mes principes de ce titre pompeux), incompatibles
avec les usages des cours et du grand monde. Je ne
demande et ne puis trouver le bonheur que dans ma sphère;
la vie de campagne, l'amitié, l'estime de ceux dont je
suis connue, comblent mex voeux. Lorsque les
circonstances auront rendu nos démarches plus libres, je
ne laisserai pas échapper l'occasion de me rapprocher de
vous, Monseigneur, non pour jouer le rôle importun d'une
femme à prétentions, mais pour vous offrir de vive voix
l'hommage de mon respectueux attachement. Je me flatte
que vous me méconnaîtrez point ces sentiments si, d'ici-là,
je me renferme de nouveau dans le silence que les lois et
la prudence m'imposant, et je vous supplie de vous y
conformer à mon égard.
Je suis, Monseigneur, de Votre Altesse éminentissime,
etc..
(1.) Son nom n'est pas indiqué; c'était un proche parent d'un comte de Montbéliard, de la famille princière de Wurtemberg, qui avait épousé une tante de Mlle de Rathsamhausen. Devenu veuf, il se retira à Hornebourg, en Allemagne, après avoir longtemps habité le château de S.....(illisible), en Alsace. Il était sans doute intervenu pour assurer le sort de sa nièce auprès du prince à qui cette lettre était adressée.
Colmar, 17 février 1798
J'ai tant de choses à vous dire que
je ne sais où commencer. Depuis quelques temps, j'ai
toujours été par voie et par chemin; cette manière de
vivre ne me conviens pas. Me voici, pour quelques
semaines, chez de bons amis; mon esprit et mon corps s'en
trouvent bien, j'ai besoin de repos.
Je reviens des noces de ma soeur; elle a fait un
mariage de raison, qui tournera, j'espère, au profit de
l'inclinaison.(Voir acte de mariage
religieux de la soeur d'Annette mon aïeulle.)
Elle a épousé un homme de loi, qui a une grande douceur
de caractère, le coeur excellent, un jugement sain, six
mille livres de revenu, indépendamment des emplois qu'il
peut occuper et de l'augmentation de fortune qui
l'attend; il est vivement épris de sa femme. J'ai
longtemps combattu cette union; ma soeur a eu plus de
courage que moi, et de plus solides raisons l'ont décidée
à fixer son sort. J'ai donc vu la fille bien-aimée de
mes très honorés parents revêtir les augustes devoirs
d'épouse et de mère; elle en a pris l'engagement sacré
devant Dieu et devant les hommes le même jour, presque
à la même heure où notre mère mourut neuf ans
auparavant. J'ai été sur sa tombe, j'ai vénéré sa mémoire,
invoqué son immortelle intelligence. Sans doute que du
haut des cieux, unie à mon père, elle aura fait
descendre ses bénédictions sur la tête de sa fille,
sur l'imposante carrière qui s'ouvre devant elle. Cet évènement
a profondément ému mon âme; maintenant j'en souments
avec confiance et résignation le résultat à la
Providence.
(Voir acte de mariage religieux de la soeur d'Annette mon aïeulle.)
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